J’aime que la maison soit embaumée du parfum des confitures. Nous avons la chance de pouvoir cueillir nos cerises et nos groseilles et de les cuisiner. Quelle perte de temps pensent certains! Mais si le temps est bien rempli en quoi serait-il une perte? Les confitures maisons construisent des souvenirs olfactifs puissants. Le délicieux texte de Georges Duhamel pénètre bien cet esprit:
« Le jour que nous reçûmes la visite de l’économiste, nous faisions justement nos confitures de cassis, de groseille et de framboise.
L’économiste, aussitôt, commença de m’expliquer avec toutes sortes de mots, de chiffres et de formules, que nous avions le plus grand tort de faire nos confitures nous-mêmes, que c’était une coutume du moyen âge, que, vu le prix du sucre, du feu, des pots et surtout de notre temps, nous avions tout avantage à manger les bonnes conserves qui nous viennent des usines, que la question semblait tranchée, que, bientôt, personne au monde ne commettrait plus jamais pareille faute économique.
– Attendez, monsieur! m’écriai-je. Le marchand me vendra-t-il ce que je tiens pour le meilleur et le principal ?
– Quoi donc? Fit l’économiste.
– Mais l’odeur, monsieur, l’odeur! Respirez : la maison toute entière est embaumée. Comme le monde serait triste sans l’odeur des confitures!
L’économiste, à ces mots, ouvrit des yeux d’herbivore. Je commençais de m’enflammer.
– Ici, monsieur, lui dis-je, nous faisons nos confitures uniquement pour le parfum. Le reste n’a pas d’importance. Quand les confitures sont faites, eh bien! Monsieur, nous les jetons.
J’ai dit cela dans un grand mouvement lyrique et pour éblouir le savant. Ce n’est pas tout à fait vrai. Nous mangeons nos confitures, en souvenir de leur parfum.
GEORGES DUHAMEL, Fables de mon Jardin
Duhamel met bien en boîte la logique marchande de l’économiste qui transcende aujourd’hui hélas tellement notre société. Et même encore, sur les réseaux sociaux, il faut se méfier de ce genre de « tendance » populaire DIY, qui sert trop souvent à attirer – on ne sait trop pourquoi – des « suiveurs » qui marqueront un intérêt éphémère pour le billet. Ce sera alors tendance de faire des confitures!
Pourtant, la saveur des petites choses n’est jamais une question de tendance. C’est une affaire pérenne d’éducation. Dans une société où tout est question d’image, de com’ et de marketing, nous oublions trop souvent l’essence même de la vie: emplir le temps de sa vie, lui donner une saveur de vécu qui passe par tous les sens!
L’été est particulièrement propice à cela. Un moment de rupture de rythme qui nous permet de vivre avec nos enfants. On a le temps! Et ce temps peut se vivre dans la banalité de la nature et de la vie quotidienne ordinaire. L’été nous permet de fermer nos volets intérieurs à toute sollicitation consumériste qui passe aujourd’hui par tant de médias, dont les influenceurs sont les nouveaux convois de pubs!
Il n’est pas facile d’être parent ou professeur aujourd’hui car la nature des liens a changé. Elle a été viciée par la consommation qui s’infiltre par tous les pores de la peau. Nous sommes englués, presque à notre insu, par cette art de « non vivre »! Car la consommation loin d’apporter la vie, l’en dérobe de sa saveur! Arte a diffusé un documentaire fort éclairant sur ce qui nous a conduit là où nous en sommes et l’on comprend mieux la nature de notre mal moderne!
Comment, nous parents, pouvons-nous « lutter » contre cela? Il nous faut peut-être, pour y parvenir, comprendre l’essence même de ce qu’est l’éducation. Daniel Pennac l’explique magnifiquement dans une petite entrevue:
« Les jeunes aujourd’hui, les enfants, tout petits déjà dans le berceau, sont considérés par la société de consommation, comme des clients. On produit des publicités pour les pousser à consommer. A consommer des tablettes, à consommer des portables, à consommer des vêtements. Consommer, consommer, consommer! Et ça c’est leur culture, c’est la culture quotidienne. Et quand ces enfants arrivent à l’école, ils vont se conduire vis-à-vis du professeur comme des petits consommateurs. Moi, professeur, je ne m’adresse pas à tes désirs. Je m’adresse à tes besois fondamentaux. Le besoin d’apprendre à lire, d’apprendre à compter, le besoin d’apprendre à penser, à réfléchir. La plupart des ces besoins sont antinomiques avec tes désirs. Et c’est pour ça qu’il est beaucoup plus difficile d’être professeur aujourd’hui que dans les années ’50 où les enfants n’étaient pas encore les clients de la société marchande. Le problème, c’est que l’enfant, tout petit dans son berceau va croire que son désir est un besoin fondamental. Il va croire que son bonheur dépend de la satisfaction d’un désir qu’il prend pour un besoin fondamental. Le travail des adultes c’est de dissocier ces notions de désir et de besoin. Et le bonheur, le vrai bonheur, on peut l’atteindre en apprenant à comprendre. C’est ça qui rend heureux. Quand tout à coup je comprends les choses… Je comprends que la publicité est mensongère. Je comprends que la compréhension est une bonne source de bonheur véritable. «
Nous avons donc un rôle à jouer afin d’être des transmetteurs en dehors de la propagande marchande. Nous avons à jouer ce rôle de responsable de leur intelligence, de leurs connaissances et de leur recherche du bonheur « réel ». Le contact avec la nature, le jeu, la lecture, le temps partagé en famille et avec les amis, le besoin de bouger et de se dépenser c’est de cela dont nos enfants ont besoin durant l’été et non des écrans et de la surexcitation entraînée par la surconsommation.
Lorsque j’ai débuté ce blog, j’étais mue par l’idée du partage et de la transmission gratuite qui peut s’opérer via ce moyen de communication. Mais est-ce que ce média est encore celui adapté à notre « époque »? Il semble que les gens préfèrent nettement à présent les vlogs où tout se passe oralement. Ce qui n’est absolument pas pour moi! Je constate que le destin des blogs semble doucement glisser vers des pages publicitaires et placement de produits. Il ne saurait en être question avec Grandir près du châtaignier.
Comme à chaque année, j’aime m’éloigner des écrans pour l’été . Je vous souhaite de bonnes vacances et de savourer toute la banalité des petits riens qui nous comblent tant!
Délicieux texte de G Duhamel! Je déguste toujours tes articles comme une bonne tartine beurrée à la confiture. Ce dernier ne fait pas exception. Tu as toujours les mots justes.
Bonnes vacances
Merci Sandrine et bon été!
Merci pour cet article! je n’avais pas pris l’ampleur de ces enfants youtubers, j’ai dû en voir quelques uns mais je n’avais pas réalisé que c’était généralisé. Merci de ne pas placer de produits, j’aime lire les recommendations, surtout de bons livres pour toute la famille, mais quand l’article entier se transforme en pub Usborne ça ne m’intéresse plus.
Je ne connaissais pas du tout ce texte de Duhammel, tellement bien vu!
Je suis d’accord sur la fin des blogs, j’avais un blog en 2007-2010 et il y avait un vrai réseau de blogs intéressants, les gens prennaient le temps de commenter, d’écrire des articles de fond avec ce qu’ils avaient à dire. Maintenant je sens l’influence de Facebook et autre plateformes d’instantanéïté, il faut faire vite, avec beaucoup d’images.
Je suis ravie de trouver encore quelques beaux blogs à lire, avec de belles réflexions. Merci d’en faire partie!
Bonnes vacances!
Merci Tiphaine pour tes mots gentils. Ton blog est-il encore en ligne? Sinon, pour les blogs, oui, je crois aussi que les réseaux d’instantanéïté influent beaucoup sur leur disparition progressive. Ce que je déplore, c’est que le roi Midas touche ces espaces qui étaient des bastions modernes gratuits et généreux de partage d’idées, de savoir-faire, de passion ou de réflexions. En s’immisçant en pub, à peu de frais pour ces éditeurs, ils occupent la place qu’occupaient « autrefois » les articles de fond. Cela enlève de la saveur aux blogs!
Bonnes vacances!
Mon blog de 2007, non je n’ai plus le compte e-mail qui allait avec! C’était en anglais de toute façon.J’en ai refait un récemment herbesauvage.wordpress.com
Merci pour la fable de Duhamel, auteur que je ne connaissais pas avant de te lire… J’ai beaucoup lu les articles que tu as écris et me suis sentie imprégnée par l’atmosphère de ton école-maison. J’ai tellement aimé certains d’entre eux que je les imprimés pour pouvoir les relire très loin d’un écran !
J’ai aussi appris à regarder en moi, ce que je sais déjà et ce que je dois apprendre pour le transmettre à mes enfants. On a tous en nous la force de la petite graine que nous étions au départ, il suffit juste de l’arroser avec quelques gouttes de poésie, de beauté, de simplicité. Merci pour ton blog, longue vie a grandir près du châtaignier !
Quand on écrit un blog, on ne sait pas qui nous lira..Si c’est une petite souris comme moi, elle ne laissera que peu ou pas de commentaire par manque de confiance en elle et pour ne pas « déranger » mais ce soir j’ai osé…
Merci Amélie d’avoir osé. ces petits mots gentils sont un vrai baume! Je réponds un peu tard mais je suis de retour maintenant …
Je viens de regarder la première vidéo, JE SUIS INDIGNÉE ! C’est accablant et en meme temps, je viens d’avoir un électrochoc, je ne peux plus me taire…
Oui, c’est sidérant! Et la deuxième vidéo nous permet de comprendre comment on en est arrivé là….
Celà faisait quelques temps que je n’étais pas passée et vlan, je découvre un bon article qui vous caractérise si bien. Merci.
Je partage vos opinions ( c’est une des raisons qui fait que j’apprécie tant votre prose ) les transmissions des valeurs sont tellement importantes. Sur ce, je vais aller aider ma fille à étendre le linge, autre petite chose de la vie courante importante à partager.
Merci Act pour ces mots si gentils ❤