Des enfants no logo


Alfred Eisenstaedtal, 1963 Théâtre de Marionnettes Paris

Chaque visage d’enfant sur la photo ci-haut est magnifiquement expressif. Chacun révèle sa personnalité. Il y a les « extravertis » qui crient, qui lèvent le bras, qui expriment une émotion intense; il y a les plus « introvertis » qui retiennent leurs souffle mais dont l’émotion se perçoit dans le regard captivé; il y a celle qui a compris le côté humoristique de la scène et qui  s’esclaffe; il y a le sensible dont le chahut intense des pairs dérange et qui se protège les oreilles mais sans quitter le récit des yeux; il y a le petit, tout en bas à droite, qui délaisse les marionnettes, distrait et intrigué par la caméra: pour lui le plus intéressant se passe en dehors du castelet.

Chacun de ces enfants appréhende le monde à partir de ce qu’il est. Chacun est unique.  Chacun,  pourtant, fait aussi partie d’un tout. Car tous ces enfants ne sont pas seulement uniques et différents, ils forment la foule des spectateurs de ce petit castelet et sans leur présence, leurs cris, leurs applaudissements, le spectacle n’est rien. Le groupe d’enfants devient un tout à travers l’ensemble des qualités expressives de chacun qui assiste au spectacle.

Comment faire l’équilibre entre la part unique et individuelle de l’enfant et l’esprit collectif à développer? Comment reconnaître l’unicité de l’être sans perdre le sens de la communauté? La question se pose…

Dans ma formation pour devenir professeur,  on nous avait mis en garde contre les étiquettes que l’on accolle au front des enfants :celui-ci est paresseux, celui-là est brillant, cet autre est le dernier de la classe… Ces étiquettes qui  individualisent certes mais qui enferment les enfants dans des rôles dans lesquels ils finissent par s’identifier et se conformer. Heureusement, nous entendons de moins en moins ces saubriquets « gratuits ».

 Ils ont été remplacés par d’autres . Et ces étiquettes ne sont plus gratuites, elles coûtent chères en bilans. Un nouveau marché lucratif a fait son chemin pour enfermer, avec la meilleure volonté du monde, des enfants dans d’onéreuses étiquettes. D’ailleurs, à ce prix, ce ne sont plus des étiquettes mais des logos de spécialistes arborés sur le front des enfants. Ainsi, cet enfant est dysorthographique, cet autre est dyscalculique, celui-là dysphasique, dyslexique ou dyspraxique. Et n’omettons par tous les HP, les précoces, les surdoués, les TDA…

Il ne s’agit pas de nier les handicaps ou les facilités des uns ou des autres. Cibler des « profils » peut permettre d’apporter des outils pédagogiques adéquats. Le danger est cependant celui de faire disparaître l’enfant derrière un terme qui l’enferme dans une case dont il ne sortira plus. Les profils et caractéristiques rattachés aux différents diagnostics figent trop souvent l’enfant dans une image attendue. Ainsi, un jeune de dix-sept ans affirmait à son professeur qu’il avait un déficit de l’attention car il était dyslexique et qu’il ne pouvait pas se concentrer dans le cours qu’il suivait, et n’essayait même plus d’ailleurs. Un autre parent d’enfant HP justifiait par son profil les crises de colère violentes de celui-ci en classe…

Ardèche | 1953 |¤ Robert Doisneau | 10 juillet 2015 | Atelier Robert Doisneau | Site officiel

On ne peut nier qu’il existe certains attributs qui se rattachent aux profils des enfants. Le danger est d’excuser l’enfant et de ne plus attendre de lui qu’il se comporte autrement puisque son diagnostic finit par le définir. Or, un enfant doit savoir qu’il est plus qu’une étiquette pédagogique, qu’il peut dépasser ses difficultés ou qu’il n’a pas à s’appuyer uniquement sur ses facilités et qu’il doit également apprendre à travailler. Idéalement, on devrait éviter de parler de ces différents diagnostics devant l’enfant, sans pour autant lui en cacher l’existence,  dans le but profitable de s’empêcher de l’y réduire.

Si nous pouvions détachés des enfants ces logos de spécialistes à qui les bilans profitent , nous élèverions des enfants no logo*…  On attendrait de chaque enfant qu’il travaille bien à partir de ce qu’il peut , peu importe le profil qu’il a; qu’il se comporte bien, peu importe la sensibilité qu’il possède. Car tous gagnent à apprendre à travailler et à respecter les autres.  Nous attendrions la même base de tous les enfants malgré leurs particularités et eux se sentiraient non plus des « cas » à part, mais bien membres d’un tout qu’on appelle l’humanité…

Sweet!

Rain catchers

*Je reprends sciemment le terme du livre (no logo) de Naomi Klein tout en l’utilisant dans un sens différent bien que symptômatique du même procédé qui relève d’une société de surconsommation. L’éducation n’y échappant pas…

A propos Brune

Mère-enseignante de 8 enfants. Site: grandirpresduchataignier
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5 commentaires pour Des enfants no logo

  1. Merci, mille fois merci Brune pour cet article ! Combien d’enfants se retrouvent ainsi bloqués dans un costume qui ne leur va pas, tout simplement parce que, à tel âge, ils étaient encore un peu patauds, un peu balbutiants, un peu rêveurs, un peu renfermés ? Laissons-les vivre, laissons-les grandir et, bien souvent, tout s’arrange de soi-même, sans artillerie lourde ni étiquette collée sur le front.

    • Brune dit :

      Oui, certains enfants mettent plus de temps avant de sortir de « l’oeuf ». Quel dommage de les enfermer dans des cases « inutiles » bien souvent, car le temps simplement aurait fait son oeuvre…

  2. mon aîné est « précoce », décelé en entrant dans l’armée à 18 ans ! Je l’ai toujours su, je ne lui ai jamais dit, je ne l’ai jamais fait testé. Mon 4ème est un zèbre, dyslexique, dysorthographique, je lui ai expliqué ses difficultés et l’origine et ensuite ? Et bien ensuite, il travaille comme tout le monde! Il n’a jamais eu de livres spécifiques, simplement quelques outils supplémentaires, beaucoup d’adaptabilité et de patience…beaucoup d’énergie aussi mais il a fait comme tout le monde. Il est scolarisé en 6ème dans un collège avec des classes pour dyslexiques mais lui est dans une classe ordinaire…mon 6ème est très certainement précoce lui aussi. Il ne le sait pas. Je ne lui dirai pas d’ailleurs !

    • Brune dit :

      Oui, il ne s’agit pas de nier les « particularités » qui peuvent émailler, mais il nous faut toujours rester prudents… Catherine Huby mentionne avec à propos que bien des « handicaps d’apprentissage » diagnostiqués trop tôt peuvent être tout simplement de l’immaturité chez l’enfant. Ton expérience démontre qu’on peut aussi passer à travers la scolarité sans étiquette même si les particularités sont réelles…

  3. tiphaine L dit :

    tellement vrai « Un nouveau marché lucratif a fait son chemin pour enfermer, avec la meilleure volonté du monde, des enfants dans d’onéreuses étiquettes.  »
    merci pour ces réflexions pertinentes.

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