Un ami a fait circuler sur son mur Facebook un article tiré du journal Le Devoir (quotidien québécois) autour de la figure de l’enseignant. Une réflexion totalement à contre-courant qui place ce dernier dans un rôle autre que de simple « accompagnateur » ou « guide » tel que conçu dans le courant « socioconstructiviste ». Il s’appuie sur une lettre de Camus recevant le prix Nobel à l’âge de 40 ans qui adressait toute sa gratitude à son enseignant d’autrefois. A lire et méditer tant pour l’école que pour le parent éducateur en IEF…
En 1957, donc trois ans avant sa mort, Camus reçut le prix Nobel de littérature alors qu’il n’avait que 43 ans. Dans une lettre magnifique, l’écrivain reconnaît qu’après sa mère, la première personne à qui il a pensé en gagnant ce prix fut son ancien instituteur : « une occasion de vous dire […] que vos efforts, votre travail et le coeur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève. » Alors que Camus était un enfant provenant d’une famille pauvre, M. Germain lui a tendu la main et l’a aidé d’une manière incommensurable en le perfectionnant après les cours pour que le futur écrivain s’inscrive au lycée. Sans les efforts de M. Germain, le parcours de Camus aurait été complètement différent.
L’étrangeté de M. Germain
Dans son premier roman, L’étranger, Camus décrivait un homme étranger à sa société, qui ne pleure pas la mort de sa mère. Dans les pages de son dernier manuscrit, Camus y trace le portrait d’un instituteur qui serait étranger à l’école actuelle. La méthode de M. Germain était de ne rien céder sur la conduite tout en rendant la matière vivante et amusante. Les coups de règle en guise de punition faisaient partie de ses manières de faire et la lecture prenait une place toute particulière dans son enseignement.
Un bon jour, M. Germain faisait la lecture d’une histoire à la classe et, à la fin du récit, le jeune Camus était en larmes. Devant une réaction aussi forte de l’élève, le maître décida de lui donner le livre. Devant ce cadeau, la réaction du jeune Camus : « C’est trop beau. » Camus se sent quasi indigne de ce cadeau, car pour lui, le livre a une si grande valeur qu’il ne le mérite pas. À sa classe de milieu modeste et à Camus en particulier, M. Germain fait le plus beau des cadeaux, soit celui de la culture.
À notre époque, et la tendance en ce sens se concrétisera sans doute dans les prochaines années, les nouvelles méthodes pédagogiques d’inspiration socioconstructiviste visent à effacer la figure du maître pour la remplacer par un accompagnateur ou un guide. Il s’agirait de ne plus gaver les élèves par un enseignement magistral et unilatéral, mais plutôt de rompre la dissymétrie entre l’élève et l’enseignant afin que l’« apprenant » découvre le monde par lui-même. Une telle conception de l’école se réclame de la démocratie et d’un rapport plus égalitaire entre l’enseignant et l’élève. Or ces méthodes n’ont pas le monopole de la démocratie et de l’égalitarisme. Pour M. Germain, l’égalité, c’est l’accès à la culture pour tous. Mais au-delà de cette différence dans la conception de l’égalité, l’étrangeté de M. Germain réside dans l’exotisme qui était au centre de son enseignement.
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