Et si on acceptait leurs déceptions?


DSC06313Depuis la rentrée, j’entends plusieurs histoires de parents dont les enfants pleurent car ils ne sont pas dans la « bonne » classe, car ils ont le « mauvais » professeur, car ils ne sont pas avec leurs amis. Cela ne se limite pas qu’à l’école. Dans les activités de groupe également la rentrée apporte son lot de déception. Une mère d’un petit louveteau a remué ciel et terre afin que son enfant ne soit pas avec tel autre enfant dans la même équipe. Non  parce que l’autre l’aurait harcelé (ce qui en soit aurait pu expliquer une demande de changement), mais parce que son fils ne l’aime pas… L’autre est geignard, lourd, négatif… Personne ne le veut… « Si on ne le change pas, il va arrêter le scoutisme »! Un autre parent faisait pression pour que son enfant soit chef d’équipe et non second, car le chef en place  n’aura aucune autorité, alors que le fils, lui, aurait une autorité naturelle…

J’ai parfois l’impression que la logique marchande s’est immiscée dans l’éducation des enfants avec pour devise « le client est roi » et nous ferons tout pour satisfaire le client…

C’est parce que des clients voulaient des fraises fraîches en janvier qu’on déménage la terre afin de satisfaire ce désir. Il y a cent ans, les gens n’étaient pas mieux! S’ils avaient pu avoir des fraises en janvier, ils l’auraient fait! Mais ils ne le pouvaient pas. Alors, les amateurs de fraises qui en voulaient en janvier vivaient avec le fait qu’ils n’en auraient qu’en juin… On en faisait son deuil! Le marché moderne nous a bien fait comprendre que  « sky is the limit« . Il n’y a plus rien qui puisse freiner les demandes incessantes de produits, de voyages même si pour satisfaire la demande et les profits on épuise les ressources, les sols et qu’on crée un changement climatique qui fait des ravages. Le client est roi … Aucune contrainte, aucune frustration…

Mais rendons-nous service à notre enfant en accédant à son désir de ne pas être dans la classe ou l’équipe assignée? C’est avec la meilleure intention du monde que le parent prend son courage à deux mains et ira se « battre » s’il le faut afin que l’année de son enfant se passe comme il le désire. Au risque de mettre des tensions… Gardons ces combats pour les moments absolument indispensables, comme lorsqu’un enfant vit du harcèlement, ou une souffrance scolaire…

Je me souviens combien avec mes aînés  j’ai été une maman qui voulait éviter les déceptions. Si je n’ai jamais demandé de changement de groupe, j’ai en revanche parfois fait l’impossible pour que mes « petits » ne soient pas déçus… Par exemple, mettre trois événements dans une journées où un seul aurait été suffisant! Ce stress supplémentaire que je nous ai mis à ces occasions n’a jamais été profitable… Je pense qu’il aurait été plus constructif que je sache accepter leurs déceptions… J’ai été amenée à changer mon approche.

En IEF, nous devons être doublement vigilants afin de ne pas faire de ce chemin un dôme de surprotection.

Je plains ceux qui s’occupent de la logistique. Pour changer un enfant de classe ou d’équipe, a-t-on envisagé ce que cela impliquait comme chamboulement? On change et on déséquilibre le nombre d’enfants par classe, par équipe? On change le gamin et on en retire un autre (qui n’a rien demandé) de l’autre classe/équipe pour le mettre à sa place? Et si plusieurs parents font de même? On comprend facilement qu’en dehors de raison majeure, les parents reçoivent une fin de non recevoir…

Mais il y a plus important que la logistique. Il y a l’enfant lui-même. Accéder à ses désirs, c’est l’infantiliser, c’est l’empêcher de grandir.

L’enfant anticipe l’avenir. Il se fait un cinéma, il imagine qu’il sera avec tel copain. Après avoir rêvé, il se confronte inévitablement avec la réalité qui diffère souvent  de ce qu’il avait imaginé. N’est-ce pas notre lot humain à tous? Qui ne se fait jamais de film heureux en pensant à demain? Et qui échappe au recadrage nécessaire de la réalité. Dans chaque situation « normale » il y a du bon et du moins bon. Nous devons tous nous ajuster à cette réalité qui s’offre à vivre.

Dans les situations de déception, il convient de faire appel aux forces de notre enfant. L’enfant qui se retrouve seul dans un groupe, sans ses amis, doit savoir qu’il aura la chance de s’en faire d’autres durant l’année. Il ouvrira ainsi ses horizons. L’enfant qui se trouve dans l’équipe « pourrie » doit comprendre qu’il a sa part à fournir pour rendre son équipe « chouette »! Tout ne dépend pas uniquement des autres…

Et parfois, l’année est aussi pénible qu’on le redoutait, avec le professeur sévère. Là aussi il y a des forces à développer. Nous avons le devoir de faire comprendre que la vie de notre enfant n’est pas fichue malgré de mauvaises notes dans le cours redouté. C’est l’occasion d’apprendre comment réagir avec les personnes compliquées. Dans la vie, on en rencontre toujours…

Nous avons le devoir de mettre une atmosphère propice au bonheur pour nos enfants, mais jamais il n’a été dit que nous avions la mission d’éliminer tous les aspects négatifs de leur vie. Nous n’éduquons pas nos enfants comme pour une sortie à Disneyland. Leur enfance ne doit pas se résumer à un album photos de bonheur absolu  en tout temps.

Ce n’est pas cela une enfance heureuse…

Une enfance heureuse c’est une enfance où l’on apprend à devenir autonome en vue de demain. Où l’on prend du temps pour l’enfant. Des moments simples… C’est le gâteau qui embaume la maison et que l’on dégustera ensemble, c’est le torrent dans lequel on se baigne une journée chaude d’été, c’est aussi tous ces petits et grands moments où l’enfant est triste et qu’il reçoit du réconfort. Car c’est aussi cela le bonheur: des bras tendres qui vous prennent et qui vous rassurent en vous disant, comme ma mère le faisait en ces occasions: « Demain est un autre jour… Tu verras cela autrement. » Ces moments précieux où l’amour et le soutien nous aident à grandir…

 

 

 

A propos Brune

Mère-enseignante de 8 enfants. Site: grandirpresduchataignier
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16 commentaires pour Et si on acceptait leurs déceptions?

  1. Poullot dit :

    Que c’est juste! Je suis tout à fait d’accord avec toi !

  2. mamanslow dit :

    quelle sagesse dans ce texte! C’est vrai que nous devrions transmettre cela à nos enfants bien plus que nous ne le faisons couramment. Mais nous les adultes sommes nous tous sages au point d’envisager nos déceptions avec un recul nécessaire et immédiat ….pour ma part je n’y parviens pas toujours …mais je m’améliore 🙂 . Merci à vous pour cet écrit à relire souvent !

    • Brune dit :

      C’est vrai que nous avons à nous regarder également et … travailler. Le travail sur soi d’une vie pour quitter le mode tyrannique « JE veux… »

  3. Parfaitement d’accord ! Cela fait plaisir à lire. Quand j’expliquais aux parents qui allaient déménager que, même si leur enfant s’affolait à l’idée de quitter SON école, SA maîtresse, SES camarades, il y avait de grandes chances pour que, six mois plus tard, ou même avant, ils en aient oublié jusqu’à l’existence, ils ne me croyaient pas.
    Et pourtant, six mois après ou même avant, les échanges de mails ou de coups de téléphone avec les camarades, les cartes aux anciennes maîtresse, tout cela s’espaçait, puis s’arrêtait. Les enseignants qui, comme certains parents aussi, n’avaient pas compris que notre rôle est de les nourrir, les protéger et les chérir, bien sûr, mais aussi de les pousser hors du nid, tout doucement mais avec détermination, étaient étonnés de leur ingratitude qui n’en était pas.

    • Brune dit :

      Je pense qu’il est difficile pour les parents de s’y retrouver… La bienveillance, l’estime de soi à favoriser. On peut facilement tout confondre et finir par penser que toute larme « traumatisera » notre enfant… Il faut retourner aux enjeux réels de ce qu’est une éducation: favoriser l’autonomie (sans pour autant tirer sur la plante afin qu’elle pousse plus rapidement -ça, c’est paradoxalement l’autre problème!).

  4. Cotentin dit :

    Le « clientélisme » s’est solidement installé… Je me souviens de programme d’échanges européens Comenius, où les parents faisaient pression parce que la famille d’accueil (encore inconnue !) était trop ceci ou pas assez cela… Le résultat : renoncement des profs après 10 ans de ces échanges quand le plus difficile n’était plus la gestion des dossiers… mais celle des complaintes parentales ! Votre article est plein de bon sens, et touche à un point-clé de notre société, le « je veux tout tout de suite » et le refus de toute « frustration »… , le plaisir immédiat primant le moyen terme. Accepter la « déception », c’est aussi accepter l’effort, par rapport à soi-même, par rapport aux autres… et l’école n’est-elle pas aussi une éducation à l’effort ?

    • Brune dit :

      « Accepter la « déception », c’est aussi accepter l’effort, par rapport à soi-même, par rapport aux autres… » C’est très vrai…Cela demande un effort d’accepter de recadrer et d’avancer.

  5. Caro jms dit :

    Tellement vrai
    Un très beau post, bravo et merci

  6. Gwen dit :

    Merci pour ce texte si juste!
    Ah cette envie de faire le bonheur de notre enfant, de lui éviter toute souffrance.,, qui nous mène à oublier qu’on apprécie les beaux jours aussi car on a goûté à la pluie.

    • Brune dit :

      Oui! C’est un peu comme si on croyait que c’est à force d’accumuler des perles de bonheur sans nuage que l’on apprendrait à être heureux. Il faut certes des perles de bonheur afin de construire un avenir heureux, mais, apprendre à traverser les difficultés, apprendre à recadrer et ainsi à devenir heureux quels que soit la route nous prédisposent sûrement plus au bonheur…

  7. coralie6doigts dit :

    Merci de cet article, je suis complètement en ligne avec cette approche !!
    Je m’étais déjà posé cette question en terme de l’émotion, et de notre manière de la recevoir :
    https://les6doigtsdelamain.com/pourquoi-nions-nous-les-sentiments-des-enfants/
    Laisser les enfants traverser les sentiments négatifs pour grandir, parce qu’ils font partie de la vie, tout simplement.
    Ici, tu vas un cran plus loin en les laissant vivre les situations difficiles, et ça va de soi, c’est également gagner en expérience. On les aide moins en les aidant trop…

    • Brune dit :

      Je pense que lorsque survient une difficulté, notre soutien compte pour beaucoup… Il y a difficulté et difficulté également… Le harcèlement scolaire, notamment doit être accompagné avec une grande vigilance. Et dans ce cas je pense que l’intervention du parent est hautement importante… Quant aux difficultés ordinaires, elles sont parfois le fait d’angoisses quand on anticipe sur la réalité: l’enfant qui a peur de se retrouver sans ami…par exemple. Et le fait de se confronter à la situation ne signifie par que ce sera négatif. L’enfant peut être surpris d’être accueilli positivement par le groupe également…

  8. Quel beau texte qui nous rappelle qu’il faut aussi connaître la peine et la souffrance pour mieux aimer et apprécier.

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