La joie est une décision
Quand nous décidons de faire la classe à nos enfants nous nous berçons d’illusions. Nous rêvons tout de suite d’enfants tout heureux à l’idée de s’attabler pour apprendre avec leur parent qui sera « voué » à cette tâche. Nous pensons immédiatement à la chance d’une telle expérience! Nous serons à l’écoute de leurs intérêts, nous pourrons mieux explorer divers projets, nous prendrons le temps de bien les accompagner. Dans ce contexte idyllique quel enfant ne serait pas reconnaissant et rempli de gratitude? La partie est déjà gagnée: il suffit de mettre les meilleures conditions pour que tout baigne?
Ce n’est pas si simple, malheureusement…
J’ai mis des années avant de comprendre qu’il ne suffit pas de mettre tous les bons éléments en place pour s’assurer d’avoir une bonne ambiance dans la classe. J’y suis allée souvent avec la méthode Coué: « Allez, aujourd’hui, je resterai calme, je ne me fâcherai pas, je vais être patiente et joyeuse! Je vais leur faire plaisir avec cette activité. On va passer une belle journée ensemble... » Je croyais qu’il suffisait d’être joyeuse, de montrer l’exemple pour que ma troupe soit conquise à l’idée de se joindre à moi afin de passer un bon moment ensemble…. Mais cela ne prenait pas une heure avant que n’explose une première crise. Comment mes enfants pouvaient-ils ne pas comprendre que j’étais sympa et que j’aurais bien méritée une journée remplie de bonne volonté?
Nos enfants sont des individus très immatures. Ils ne comprennent pas encore les conséquences de leur attitude. Pire, ils ne voient pas en quoi leur attitude peut nous exaspérer! Après tout, se disent-ils, ce n’est pas de leur faute s’ils ont égaré leur cahier pour une quarantième fois cette année: « Je l’avais rangé, je t’assure Maman, et je ne sais pas pourquoi il n’est pas dans mon casier. Quelqu’un a dû me le prendre« , nous disent-ils les yeux dans les yeux. Sauf que vous revoyez en mémoire fiston la veille en train de travailler sur la table de la cuisine et vous aviez bien indiqué à la fin de la séance de ranger son matériel à sa place. Vous lui demandez alors d’aller voir dans la cuisine, d’aller voir au salon et de regarder partout où ce *§!%*@#& de cahier peut être!
Après cinq minutes, vous l’entendez vous dire « je ne le trouve pas Maman!« . Flûte, vous n’allez tout de même pas en acheter « trente-cinq » de ces cahiers et vous en avez besoin CE matin car vous avez prévu une leçon. Vous vous levez, un peu excédée déjà et vous cherchez. Vous vous dites qu’il n’a pas cherché comme il faut! Comme vous êtes déjà en colère, vous ne voyez rien! Donc, vos recherches demeurent vaines.Une de vos filles à ce moment – celle qui a continué son travail – vous interrompt: « Maman, je ne comprends pas cet exercice…«
–Ma chérie, c’est bien, tu as continué de travailler, vous efforcez-vous de lui dire, mais voilà, je ne suis pas disponible car je cherche le (vous respirez pour ne pas hurler) c-a-h-i-e-r de fiston… » Au même moment, le benjamin fait tomber le plateau de perles Montessori pour compter. Il vous regarde d’un air embêté car il sent bien que la mayonnaise est prise…Les perles, minutieusement triées par unités, dizaines, centaines: tout roule par terre…
Miracle! Vous ne vous effondrez pas. Vous pourriez pleurer mais, vous résistez! Par un courageux « ce n’est rien » vous embrassez la tête du petit vous ramassez vite fait avec lui et remettez le matériel en pagaille dans le plateau.
Mais ce cahier devient une obsession! VOUS LE TROUVEREZ!
Vous interrompez alors la classe: « Bon! cherchons ensemble les enfants: où est le c-a-h-i-e-r… » Vous êtes au bord de la désarticulation! Tout le monde cherche… personne ne trouve… évidemment! Fatiguée, vous décrétez une pause!
Comment un cahier perdu peut-il nous drainer autant? Vous vous sentez ridicule de vous énerver autant pour un simple cahier. Vous vous sentez même limite honteuse de vous être fâchée. Votre esprit se focalise sur votre impatience à l’égard du fils qui perd tout. Quel est son problème? Et vous vous dites aussi que vous gérez mal et cela n’aide pas! Vous n’avez pas entièrement tort, en fait! Vous retrouvez son cahier sur votre table de travail, coincé sous le livre du maître: vous l’aviez corrigé…
Des cahiers perdus, des crayons rongés (à croire que votre enfant a un canin dans ses ancêtres), un bébé fiévreux, une sale facture qui arrive au mauvais moment, un enfant qui parle trop et n’écrit pas assez, un enfant qui pleurniche dès qu’il « rate » une réponse et se trouve « nul », un enfant qui avance (trop?) vite et qui ne peaufine pas assez, un enfant que vous croyiez avancé dans son travail et qui en fait n’a écrit qu’une ligne, un enfant qui refuse toujours ce que vous lui proposez… La liste est longue …
La classe idéale n’existe pas. J’ai compris un jour que ma joie intérieure ne pouvait dépendre de l’attitude immature de mes enfants. J’ai accepté que mon véritable rôle était de travailler avec ces petites personnes déjà si entières et pourtant en devenir… Nos enfants ne peuvent pas agir en adulte responsable alors qu’ils sont en plein apprentissage de la vie. Ils n’ont aucune idée de ce qu’est l’avenir ou une conséquence. Ils sont rivés sur le présent et n’ont qu’une idée: jouer! Et l’IEF a cet avantage indéniable: il laisse beaucoup de temps au jeu! Par ailleurs, en prenant la responsabilité de me charger de leur instruction, je dois m’assurer de les voir acquérir les outils nécessaires pour l’avenir.
Cette joie, je dois donc l’installer en moi en sachant que mon enfant va sans doute encore chercher un manuel qu’il aura sous le nez mais qu’il ne verra pas! Qu’un autre devra sans cesse être rappelé à son travail à faire…Que l’auto aura peut-être une réparation à prévoir… Ce tableau fait partie de ma vie! Si j’attends que tout cela disparaisse pour entrer dans la joie: je n’y serai jamais!
J’ai dû adapter un cadre de travail pour mes enfants (j’y reviendrai dans un autre article). J’ai également fait un travail d’acceptation: un enfant est profondément immature!!! S’il ne l’était pas, il ne serait plus un enfant. Et des enfants, c’est ce que je voulais, il me semble?
Alors, cette joie, dès le matin je l’installe en moi. Je la médite. Je ne peux empêcher mes enfants d’être des enfants (ce serait triste d’ailleurs!). Je ne peux empêcher les aléas de la vie de se présenter. Je dois composer tous les jours avec les enfants qui sont avec moi, ceux-là même avec leurs qualités, leurs forces et les défis qu’ils présentent. Je dois développer un regard positif pour chacun d’eux, croire en eux et accepter non pas leurs agissements sans les recadrer, mais accepter qu’un enfant chemine à tout point de vue et que le chemin soit long. Je dois accepter que je répèterai les mêmes choses pendant très longtemps avant que cela ne leur devienne une habitude.
La joie d’être en IEF dépend de ce regard en moi. Sachant ce qu’est réellement le travail avec des enfants: de la patience, de la répétition, de la planification.
A suivre dans les autres volets de « La classe: ambiance, ambiance »
2- Le cadre pratique
3- L’enfant rêvé?
J’adore, c’est si bien décrit et écrit. Merci car c’est ce qui se vit ici chez nous en ce moment, et ma joie intérieure est parfois de courte durée. Et je m’en veux d’avoir perdu mon sang froid tout de suite après. Mais nous aussi nous sommes humaines… et on les adore nos chères têtes blondes.
Oui, nous sommes humaines 🙂
C’est un très bel article. Une vision éclairée de la réalité de l’enfant. Merci.
Merci pour votre commentaire!
Merci pour ce bel article !! La joie est une décision de chaque instant
Oui, c’est un choix la plupart du temps.
Superbe article Brune ! Je me suis régalée à le lire.
J’ai toujours tendance à croire que sans un solide travail sur soi-même, on n’est pas en mesure d’accompagner les enfants, encore plus si on les instruit.
C’est ce que je pense aussi 😉
Merci pour cet article très juste, à méditer. J’attends la suite avec impatience, en gardant ta réflexion présente à l’esprit, je me souviens bien d’une fois ou deux aujourd’hui……
🙂
Très bel article, qui me fait penser à ce qui se passe à la maison. Mon fils ne perd pas ses cahiers, c’est moi qui perd mes crayons toutes les 2 minutes. Je me fatigue à passer mon temps à les chercher. Je suis la plus indisciplinée et je m’énerve toute seule. Parfois on se demande même qui est l’enfant des deux…Mais il est vrai que nous, adultes, lorsque nous débutons en IEF avons un regard idyllique sur ce que nous allons accomplir, dans la joie et la bonne humeur, sans jamais une ombre au tableau….Mais oui…, mais oui…, certains jours je trouve qu’il y en a beaucoup des ombres justement.
Ces ombres sont là mais le soleil paraît toujours aussi!
oh là là quelle justesse dans ton billet du jour Brune ! Je pourrais le reprendre point par point à mon compte, comme certainement chacune d’entre nous. Je vais le méditer demain matin…Et me re-graver ceci en mémoire, OUI ils sont juste profondément immatures…Merci ! (lessauvageons)
Il faut souvent se le redire!
Quel texte superbe ! Et croyez bien qu’il n’est pas valable que pour l’IEF – même si, en IEF, le fait que ce soient MES enfants, fabriqués et éduqués par mes soins, intensifie certainement les sentiments ressentis… Ce texte devrait être donné à « apprendre par coeur » (ô horreur pédagogique !) à tout prof débutant, si heureux d’entrer en classe avec le superbe cours qu’il a passé tant de temps à préparer… et qui voit se multiplier les obstacles (25 élèves… 35 en lycée… et si peu plus mûrs !) jusqu’à la fin de l’heure où c’est lui qui sort de la classe en se disant « je suis nul ! » Et pire encore,le cours un peu « bâclé » qui marche super bien ! Prof « voué », « vocation » joyeuse… et puis, dix ans après, tant de profs résignés, déçus, grincheux en salle des profs, sans compter les démissions en cours de route ! Et si on apprenait aux futurs profs à moins « souhaiter », « désirer », « attendre », mais, plus simplement, à accepter que leur métier est « humain » – leur humanité défectueuse, l’humanité défectueuse avec laquelle ils travaillent – et que, comme vous le concluez, il est fait de patience, répétition, planification… et j’ajouterai une bonne grosse cuillère d’humour à la recette !!
Merci à vous! Pour l’humour, vous avez tout à fait raison: il en faut une bonne dose et à l’égard de soi-même aussi!!!