Transmettre


DSC05278Nous étions au bord de l’eau. Le temps était suffisamment chaud pour que nous nous y prélassions un peu avant de reprendre la route. Chaussures enlevées, bas de pantalons roulés, les enfants se sont jetés sur les galets et les lançaient dans le fleuve. Mon avant-dernière avait de grandes ambitions: parvenir à faire des ricochets!

Ainsi, pendant une demi-heure elle s’est obstinée à lancer des cailloux à la surface de l’eau, cherchant le fameux « sésame » qui lui permettrait de les faire voler et bondir… Malgré tous ses efforts, ses galets s’enfonçaient dans l’eau dans un énorme « plouf ».

Je ne suis pas une experte en ricochets. J’arrive à en faire deux ou trois rebonds. Je sais qu’il faut des galets plats… Je l’aidai un peu mais sans succès car je ne cernais pas assez la technique. Lasse d’essayer après trente minutes, ma fille allait presque pleurer. Elle se trouvait « nulle » et affirmait qu’elle ne tenterait plus « jamais » de lancer un caillou dans la Dordogne! Le papa qui sortait de sa sieste à ce moment s’est approché calmement d’elle. Il lui dit: « Il faut que tu choisisses un galet très léger, très plat et arrondi pour l’aérodynamisme. »

DSC05324Il se saisit du galet parfait, le montre aux enfants pour qu’ils observent le prototype et, devant nos yeux ébahis, le lance à la surface de l’eau: le projectile sursaute huit à dix fois avant de sombrer. Il faut bien dire que s’il ne m’avait pas épousée, mon mari serait devenu le champion du monde du ricochet sur l’eau!

Nous nous sommes toutes lancées à la recherche de ces galets parfaits et nous les avons projetés à la surface de l’eau non sans nous être bien accroupies afin que le projectile soit lancé de très bas. Joie sur la rive: nos projectiles ont tous glissé sur l’eau! Ma fille s’est remise à lancer et à réussir ses ricochets. Nous les avons laissées goûter ce moment encore un peu avant de reprendre la route.

Pourquoi partager cet insignifiant récit? Parce qu’il me rappelle les démarches d’investigation propres à notre système pédagogique… La transmission fait partie de ces gros mots qu’il ne faut pas prononcer. La pédagogie actuelle promeut un apprentissage autonome initié par l’élève et autogéré. On croit que si l’enfant découvre par lui-même le processus, l’apprentissage sera mieux intégré…

Or, l’enfant, bien souvent se décourage et se fatigue au cours du processus. Dans l’exemple ci-haut, ma fille était au départ ultra-motivée. La motivation fait également partie de ces sacro-saints présupposés dans l’enseignement. Un enfant motivé qui apprend dans le plaisir découvrira de lui-même la compétence visée! Le cocktail gagnant… Sauf que… dans la réalité, on voit beaucoup d’élèves abandonner et se dégoûter de l’apprentissage.

Il a fallu cinq minutes (même pas!) pour enseigner à ma fille les bons outils et les bonnes techniques afin de réussir à faire des ricochets. Maintenant, elle sait!

DSC05293Je ne prône pas l’idée d’emplir et déverser des savoirs indigestes dans les têtes des enfants et leur dire « avalez »!  Mais, je crois que le rôle de l’enseignant est plus important que d’être simplement un guide. Il est une courroie de transmission, non pas pour dominer avec son savoir, mais pour faire le lien entre toutes nos humanités réunies d’hier à aujourd’hui… Le savoir immense de l’humanité s’est transmis d’une génération à l’autre. Heureusement qu’il n’a pas fallu que chacun apprenne de lui-même à découvrir comment on fait un feu depuis la nuit des temps…

« Transmettre, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu.  » Un feu dont on transmet les moyens de l’allumer…

Pour continuer dans le même sens, l’article de la Mère Poule

A propos Brune

Mère-enseignante de 8 enfants. Site: grandirpresduchataignier
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16 commentaires pour Transmettre

  1. Isa LISE dit :

    Bonjour Brune,
    Je viens de partager ton billet d’une part parce qu’il m’a rappelé d’agréables souvenirs où mon frère et moi avons passé des heures à chercher comment faire de jolis ricochets, ou il y a effectivement eu des découragements puisqu’aucun adulte à nos côtés, mais nous nous auto-motivions. Et puis après de très nombreuses tentatives échelonnées dans le temps, nous avons su et avons été très fiers d’avoir découvert seuls qu’il fallait opter pour un certain type de caillou et une certaine manière de les lancer (bien à plat).
    Pourtant moi aussi je crois à l’importance de la transmission et cette découverte en famille restera sans doute gravée dans la mémoire de tes enfants a fortiori je pense parce que vous les avez laissé chercher. C’est aussi une question de circonstances : lorsqu’une de mes enfants ne parvenait pas à intégrer les blancs battus en neige dans son chocolat fondu et qu’elle pleurait, pensant être trop nulle, des mots doux et quelques explications ont permis à la transmission et la réassurance de réussir son appareil ! 🙂
    Bonne journée !

    • Brune dit :

      Je pense qu’on partage peut-être le même point de vue de fond 😉 Les essais/erreurs peuvent faire partie du processus évidemment… Je prends un raccourci pour illustrer la noblesse de la transmission, peut-être parce que le discours de l’EN va trop dans l’autre sens….
      De mon côté, j’ai appris par moi-même avec plaisir les ricochets, mais mes techniques étaient très basiques malgré les heures passées à l’entraînement. Quand on a un « maître » à ses côtés, c’est dommage de se passer de ce savoir…

  2. Trouver le juste équilibre entre la part d’intuition et celle d’explication, voilà tout l’art de la pédagogie. Merci pour cet article.

    • Brune dit :

      Encore un message passé dans les indésirables. Mille pardons. Vos commentaires sont toujours précieux!!! Et je suis bien d’accord! 🙂

  3. Laurence dit :

    Bonjour Brune, ton billet fait écho à celui que j’ai posté il y a peu de temps. Du coup, je t’ai mis en lien à la fin ! Peut être qu’à nous toutes, nous parviendrons à inverser cette tendance rousseauiste qui fait tant de mal aux enfants et dont notre société ne mesure malheureusement pas encore l’impact…!

    • Brune dit :

      Merci Laurence. Je te retourne la « politesse » en mettant ton article à la fin de celui-ci. Je ne l’avais pas vu!!! Mais il est vrai que j’étais en vacances à ce moment. Je n’ai vu que tes derniers… Je n’avais pas remonté assez loin. Ils se conjuguent bien ces articles 😉

  4. Oh merci merci pour ce si bel article. J’aime les idées, que tu exposes de façon si clair a chaque fois, mais j’aime, je crois encore plus la douceur avec laquelle tu t’exprimes.
    J’ai beaucoup de billets en retard, je vais les lire dans les jours a venir avec bonheur!

  5. Kalumaya dit :

    Un champion du monde du ricochet sur l’eau hein…une chance que tu étais là! 😉

    • Brune dit :

      😀 N’est-ce pas!!! Il aura connu ainsi un meilleur destin! Quoique, faire une tournée du monde pour les championnats de ricochet, ça doit lui manquer un peu quand les enfants se disputent sans arrêt!!!

  6. Quel joli récit, avec ce papa (physicien) intervenant tel Zorro ! et conduisant à une réflexion si pertinente ! Seuls 2 mots supplémentaires auraient pu s’y ajouter : « patience » et « bienveillance ». Car ce sont eux qui manquent souvent, tant du côté du « maître » que de celui de « l’élève », le « maître » pouvant se décourager (comme l’élève) et s’énerver même, surtout quand l’élève a appris – hélas ! – à voir en lui l’adversaire… Un bien joli moment, et tout de même assez rousseauiste !

    • Brune dit :

      « Car ce sont eux qui manquent souvent, tant du côté du « maître » que de celui de « l’élève », le « maître » pouvant se décourager (comme l’élève) et s’énerver même, surtout quand l’élève a appris – hélas ! – à voir en lui l’adversaire… »
      J’aime beaucoup cet ajout très juste! C’est vrai que le « maître » a besoin de beaucoup de patience. Pourquoi est-ce que l’on perd patience quand un enfant ne comprend pas? Sans doute parce que l’on se confronte à notre propre impuissance à expliquer autrement? La bienveillance, je pense qu’elle doit sous-tendre toute éducation. Quant à l’enfant, c’est notre guidance qui l’amène à développer de la patience. Quant à la bienveillance à l’égard du maître, peut-être est-ce lié au respect que celui-ci peut inspirer?
      Merci pour ce mot!

      • Oui, très vrai pour la source du respect… mais le respect éprouvé par l’enfant dans la classe, face à un maître dont il perçoit qu’il le mérite, se heurte de plus en plus souvent à l’irrespect global envers « les profs » dont il hérite à travers certains discours familiaux ou de quelques copains… L’élève se retrouve alors « pris » entre deux comportements…, en « conflit de loyauté » comme on le dit pour les enfants de couples divorcés. Dès le collège, cela devient flagrant, et bien des lycéens, même, le reconnaissent.

      • Brune dit :

        « mais le respect éprouvé par l’enfant dans la classe, face à un maître dont il perçoit qu’il le mérite, se heurte de plus en plus souvent à l’irrespect global envers « les profs » dont il hérite à travers certains discours familiaux ou de quelques copains…  »

        Malheureusement c’est la réalité. Et les médias peuvent en rajouter une couche. La société s’imagine souvent qu’en tant que fonctionnaire, le prof est un privilégié… Qu’il est toujours en vacances, qu’il a la sécurité d’emploi etc… De plus, la connaissance étant accessible virtuellement quand on le veut, il a perdu de son « aura » du savoir…

  7. Spinoza1670 dit :

    Pour prolonger ou accompagner cette réflexion sur « transmission versus découverte », je conseille vivement ce petit article lui aussi très vivant :
    http://ecolereferences.blogspot.com/2011/07/constructivisme-vs-tu-le-sais-toi.html

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