
image prise sur: http://noelpecout.blog.lemonde.fr/?attachment_id=20896
Pour illustrer le propos de mon dernier billet, voici un petit texte accompagné d’une leçon autour du vocabulaire. Une autre découpure de journal d’instituteur datant du début des années cinquante. Le texte en soi est raconté pour le niveau d’un enfant. Il offre cependant une richesse d’exploitation du vocabulaire qui dépasse le niveau auquel il était destiné. Ce qui m’intéresse davantage que le texte est la leçon qui suit celui-ci. Cette leçon s’adressait à des enfants du cours préparatoire… Je me fait le devoir de transmettre fidèlement ici ce beau travail d’instituteur:
Cadre choisi:
Temps maussade d’automne: vent et pluie
Cours préparatoire
Un récit.
François et la bourrasque
Image prise sur le site http://katoga.livejournal.com/1681815.html
François couchera, ce soir, chez sa grand-mère, dans la vieille maison de campagne où l’on fait, au foyer de la vaste cheminée, de si belles flambées de fagot. C’est demain jeudi. Dès le matin, on ira « aux glands ».
Oui, mais… quel temps fera-t-il, demain? Tout à l’heure, à la tombée de la nuit, le vent s’est mis à souffler, et maintenant la bourrasque secoue les volets, comme si elle voulait entrer de force. Elle crie ainsi qu’une bête sauvage. Elle a de longues pattes froides qu’elle glisse, sous la porte, jusqu’au feu, et des doigts crochus, invisibles et forts, qui essaient de soulever les ardoises. Elle jette des paquets d’eau sur tout ce qui est dehors. Ah !… ce n’est pas le moment de sortir !… François, blotti au creux de la cheminée, somnole dans la bonne chaleur, toute dorée de flammes dansantes, dont l’enveloppe et le câline le beau feu de bois de sa grand-mère.
Mais quel est donc ce bruit, de l’autre côté du mur, dans la grange ? Le coq appelle au secours, les poules battent des ailes. Un voleur? Une fouine ?
-Je vais voir, dit Grand-mère, en nouant un fichu sur ses épaules.
François, tout à fait réveillé, l’accompagne. Il a mis sa pèlerine, rabattu son capuchon. Et il s’est armé, à tout hasard, des lourdes pincettes dont il se sert, aux heures sans danger, pour relever les tisons. Homme ou bête, le voleur de poules fera bien de fuir. En tout cas, Grand-mère n’a rien à craindre : on la protégera.

coloriage pris sur le site: http://nounou.gard.free.fr/activites/eveil.html
De la porte de la maison à celle de la grange, il n’y a guère qu’une dizaine de pas. Trois bonds, pour François, en plein jour. Ce soir, il n’est pas question de bondir. Il faut se battre. François pense, en luttant contre les coups de vent qui lui barrent le chemin, au jeu qui consiste , dans la cour de l’école, à arrêter, à prendre à bras le corps, à empêcher de se libérer avant qu’il ait compté jusqu’à dix, le garçon de l’équipe adverse qui cherche à passer pour marquer un point. Il secoue l’étreinte glacée que des bras de vent serrent sur sa poitrine ; il se faufile entre les coups de vent qui le heurtent; et Grand-mère, courbée, croisant les mains sur son fichu, le suit. Les voici enfin au loquet de la grange. La porte s’ouvre. Ils sont à l’abri. Grand-mère tourne le bouton. La lampe montre, alors, la cause du tumulte : le balai de bruyère qu’on dresse, brins en haut, dans le coins du bâtiment, a perdu l’équilibre , et il est venu tomber au travers du perchoir des poules.
François, ses pincettes inutiles à la main, revient vers la maison. Le vent lui bourre le dos de grandes tapes amicales. La chaleur du foyer est vite retrouvée. On va pouvoir se coucher tranquillement.
-Et tu sais (dit le petit homme), s’il y avait eu un voleur ? Eh bien je lui en donnais un bon coup !…
I. Vocabulaire
I. Nous parlons du vent d’automne.
– A. Quels noms lui donner ? – a) Selon le point cardinal d’où il vient, nous l’appelons :
-le vent d‘est, ou le vent d‘ouest. Il souffle, alors, de l’est (ou : de l’ouest).
-le vent du nord, ou le vent du sud.
b) Le vent très froid, du nord ou du nord-est, qui souffle à la fin de l’automne et en hiver, et qui apporte de fortes gelées, est désigné par le nom de bise (à ne pas confondre avec la brise).
c) Si nous pensons à la force du vent et à la manière dont il souffle, nous dirons : une bourrasque (coup de vent violent et de courte durée) ; une rafale (coup de vent subit, brutal, et qui se répète ; un tourbillon (vent tournant, qui fait tourbillonner les feuilles mortes ; une tempête (vent furieux, destructeur) ; une tourmente (tempête passagère).
Expressions formées avec ces noms : le vent souffle par bourrasques ; par rafales ; en tempête.
B. Que veut dire du vent qui souffle ? -a) Il est : sec (vent d’est, vent du nord) ou humide (chargé de vapeurs, de pluie : vent d’ouest).
b) Il est tiède (vent du sud) ou froid, aigre, glacé (la bise).
c) Il peut être violent, brutal, impétueux.
II. Nous parlons du brouillard et des nuages.
-A. Le brouillard peut être léger ou épais, opaque (quand il est très épais, on lui donne le nom de brume). Il est gris, froid. Il se forme (dans les vallées, au-dessus des prairies, des étangs), tombe, s’accumule. Ou bien il s’élève, se dissipe. La brume n’emplit pas toujours la vallée, ne couvre pas toute la plaine ; il n’y a, parfois, qu’une traînée de brume (une écharpe de brouillard) le long de la rivière.
B. Un nuage peut être plus ou moins sombre et lourd. Très vaste, très épais, et menaçant (pluie, orage), il prend le nom de nuée. En automne, le ciel est souvent gris, couvert, nuageux, pluvieux, agité.
III. Nous parlons de la pluie. -A. Il pleut.
-a) La pluie est très fine ; c’est presque un brouillard ; alors, on dit : « Il bruine ; voici la bruine« . _b) La pluie est abondante, comme si on la versait : il pleut à verse ; une averse nous surprend. L’averse n’est parfois qu‘une ondée (subite et de peu de durée). Il arrive qu’elle soit si abondante qu’on peut parler d’un abat d’eau, et même d’une trombe d’eau.
B. Il pleut… à grosses gouttes, à torrents.
C. La pluie est fine (ce qui ne l’empêche pas d’être pénétrante), ou abondante, serrée ; quand elle tombe à torrents, elle est torrentielle.
II. Grammaire.
Les noms de personnes
I. François tisonne. -Nous parlons… de qui ? D’un petit garçon. Lequel ? Celui dont nous connaissons diverses aventures. François est le nom de ce petit garçon.
Son seul nom ? Seulement son petit nom, son prénom. Car il s’appelle François Dumont. Dumont est aussi le nom de son père (Monsieur Pierre Dumont), de sa mère (Madame Louise Dumont), de son grand frère (Joseph Dumont) et de sa petite soeur (Marie Dumont). C’est un nom de famille.
C’est exactement ça… C’est exactement ce que je recherche maintenant. N’importe qui peut voir l’ÉNORME différence entre ce texte, et le travail qui l’accompagne, et ce que nous retrouvons maintenant dans les manuels.
Merci pour le partage Brune.
De rien Sylvie. Je sais que tu œuvres en ce sens également 😉 et contribue largement aussi par ton blog.
Une bien belle leçon de vocabulaire… et un bien beau récit ! Mais bien bien loin des réalités des enfants en majorité « urbains » (ou péri-urbains) d’aujourd’hui ! Je me rappelle le blocage de mes élèves, lycéens, sur un texte de Zola en raison de leur ignorance de ce qu’était un lavoir… Je crois – et vous le dites souvent – que les apprentissages, surtout chez les plus jeunes, doivent s’ancrer d’abord dans les réalités qu’ils peuvent observer, en élargissant ensuite. Or, un tel texte, chez la plupart, n’éveillera aucune image de « décor » ni même des enjeux de la tempête dans une ferme. Ce que l’on peut regretter, selon moi, est sans doute l’abus d’une « littérature de jeunesse » d’une rare pauvreté (même s’il y a quelques belles réussites), et, encore plus, le frein psychologique qui consiste à croire que l’enfant « ne peut pas » s’intéresser à un texte dont l’abord est « difficile »… Car, en cherchant, on trouverait aisément des textes parlant à des enfants de 2015 mais sans concession à une médiocrité linguistique… Je pense à ceux Le Clézio, par ex… mais il y en a tant ! Enfin, encore faudrait-il que les « jeunes » enseignants disposent eux-mêmes de ce vocabulaire, non pas seulement le jour de la « leçon », mais dans leur pratique quotidienne… Mais quel est l’instit qui, dans une classe, dirait aujourd’hui : « Pourrais-tu fermer la fenêtre, une bourrasque risque de tout faire tomber », ou bien « Mettez vos écharpes, la bise souffle fort » ? Vocabulaire appauvri… (mais enrichi par ailleurs de nouveaux termes, notamment technologiques)… = pensée appauvrie ? Là est le plus grand danger.
Bonne rentrée, dans la joie et la bonne humeur.
Je suis d’accord sur le fait que le texte soit un peu « décalé » par rapport au vécu des enfants de 2015. Pour moi, l’essentiel porte davantage sur la leçon qui suit… Encore faut-il trouver un texte permettant une telle leçon. Il s’agit d’un texte destiné à des CP.
Ma belle-mère venait d’une famille paysanne. Elle vivait avec sa mère veuve et sa grand-mère marchande volaille. La culture inouïe qu’elle a développé au fil des ans a sans doute connu une courbe exponentielle lorsqu’elle s’est formée à l’Ecole Normale, et dans son métier. Quand je lis ses notes et ses devoirs destinés à servir de leçon, je pense que l’on préparait ces personne à transmettre une culture et une langue bien riche. Je ne me souviens absolument pas d’avoir préparé des leçons aussi spécifique. je me rappelle avoir préparé des activités cependant. mais, ma vieille mémoire me joue peut-être des tours!
Je suis d’accord sur le fait qu’il est préférable de choisir un texte qui «parle» à l’enfant, mais en même temps, n’est-il pas merveilleux de découvrir un vocabulaire d’un autre âge pour améliorer le nôtre?
Lorsqu’on place devant l’enfant «RÉGULIÈREMENT» ce genre de texte, il ne s’arrête pas devant un mot inconnu, il s’informe, cherche à découvrir son sens, puis, il poursuit sa lecture. Nous avons la technologie justement pour nous aider à placer une image rapidement de l’objet inconnu.
Je pense que tout le monde peut gagner quelque chose à placer un texte de ce genre chaque semaine… un seul s’il le faut vraiment… Je suis certaine qu’à long terme on verrait des enfants avec un vocabulaire différent… et pourquoi pas une façon de voir les choses différentes 😉
Personnellement, j’aime beaucoup également faire ce type de recherche avec mes enfants. Mais mon mari n’arriverait absolument pas à intéresser ses élèves , c’est clair. Peut-être avons-nous l’avantage de pouvoir le faire en famille?
Qui a dit qu’il fallait toujours intéresser les élèves? Pour avoir joué du piano pendant des années je peux affirmer que je n’avais pas toujours envie de jouer chaque jour pendant 4-5 heures à la fin de mes études. Par contre, que de bonheur ensuite lorsque j’arrivais à jouer une pièce que je n’avais jamais cru possible de jouer!
Je pense que nous devons changer notre vision des choses… pour les améliorer un peu!
Merci pour ce beau texte et cette leçon si riche. J’espère que tu nous en offrira d’autres. Je vais le lire à ma fille qui est en CP. Je ne vois pas pourquoi de petits citadins ne pourraient pas s’intéresser à ce genre de texte. C’est la manière de l’aborder avec eux qui est importante.
Dès que j’ai le temps j’en placerai, j’espère, régulièrement. Mais comme je dois les « taper » sur le clavier, c’est looong!