La plupart des parents désirent développer le goût de la lecture chez leurs enfants. Même à l’heure des réseaux sociaux, nous valorisons les livres. Mais pourquoi? Pourquoi désirons-nous cela pour eux? Cela peut être pour une raison tout à fait prosaïque, en sachant qu’un bon lecteur a plus de chance de mener à bien ses études. Ainsi, la fluidité de la lecture, la compréhension du texte deviennent l’objet de notre motivation dans le désir de bien développer cette « compétence ».
Pour ma part, cela paraîtra sans doute surprenant mais, la littératie m’intéresse assez peu. Certes, elle est une retombée positive de la transmission du goût de la lecture et je la juge fort importante mais elle n’est pas le cœur de ma quête! Je veux que mes enfants lisent pour développer en eux une réflexion, je veux qu’ils apprennent d’abord à réfléchir. Et les livres sont de bons guides en ce sens. Mais je concède que la littératie est un outil permettant d’atteindre mon objectif.
Ayant distingué ces différences entre la littératie et la littérature porteuse de réflexion, il n’est alors plus aussi étonnant de voir un vaste débat s’établir sur la question suivante: doit-on laisser l’enfant choisir lui-même ses lectures? Tout est-il bon à lire?
Pour les tenants de la littératie, la réponse est oui. Peu importe le contenu, l’enfant doit lire par plaisir et ainsi deviendra un bon lecteur.
Pour ma part, j’estime qu’il y a des livres qui sont au mieux pauvres littérairement, au pire d’autres qui sont carrément « nuisibles ». Je ne désire pas que mes enfants lisent à tout prix si c’est pour ingurgiter ces romans. Certains sont très violents (un inspecteur de 13 ans qui en vient à tuer un méchant pour les besoins de son enquête), d’autres très grossiers (on y glisse des « gros mots » tout au long du récit), certains n’apportent que des histoires d’amour absolument inadaptées à un jeune public, enfin plusieurs remettent carrément en question le rôle parental en affublant les parents d’être « énervants ». Ceux-ci sont toujours présentés comme totalement « incompréhensifs », « incompétents » …
Je sélectionne donc les lectures de mes enfants, car j’estime que les réflexions qu’ils y lisent font leur lit dans leur esprit. Les idées véhiculées ne sont jamais à banaliser… Combien de fois ai-je entendu des parents railler la mièvrerie de certains livres plus classiques de la littérature jeunesse. Dans ces livres, on y voit de jeunes héros polis, ayant à cœur de faire le bien autour d’eux…
Souvent est avancée l’idée que l’enfant se construira lui-même au fil de ses lectures. Ainsi, il départagerait ce qui a de la valeur de ce qui n’en n’a pas en s’aguerrissant bon lecteur . Je n’y crois pas un seul instant. Un enfant ne se « fait » pas tout seul. Si le parent ne le guide pas, d’autres adultes le feront! Les livres nourrissent son esprit et je ne peux pas m’en remettre à l’air du temps pour le forger…
Si les réflexions font leur lit dans leur esprit, je préfère que ce soit avec des valeurs que j’espère voir se développer . La bonté du cœur, le partage, un cœur vaillant, cela peut-il être mièvre? Sommes-nous devenus une société si dure pour trouver la bonté « désuète »? J’espère bien que non…Mon premier critère dans la sélection d’un livre est donc d’abord du point de vue de la qualité de réflexion qui se dégagent d’une œuvre. Mon deuxième sera celui de la valeur de l’écrit elle-même. J’essaie de les diriger vers des écritures riches. La plume de Marcel Pagnol n’a rien à voir avec celle de l’auteur d’Amos Aragon (je critique ici l’écriture, l’histoire étant en soi valable). Un lecteur d’œuvres riches sera capable de lire des « écrits » pauvres s’il le souhaite un jour, mais il sera très difficile pour le lecteur de best sellers uniquement d’accéder aux grands auteurs…
Beaucoup de récits d’aujourd’hui sont écrits selon les souhaits des maisons d’édition. Ils réfèrent à des critères de vente et bien peu pour des raisons de richesse d’écriture… Il se glisse évidemment de bons auteurs encore en 2015 et heureusement! Pour les enfants, des auteurs comme Timothée de Fombelle, Anne-Marie Desplat-Duc pour ne pas les nommer, ne sacrifient en rien la phrase riche au scénario. Et c’est ceux-là que je privilégie. Il est clair que je recherche d’abord et avant tout, les grands classiques pour les éveiller aux livres. Et je parsème d’œuvres contemporaines rigoureusement triées sur le volet. Ensuite, quand cette base constitue leur « nourriture » principale, il n’y a aucun souci à ce qu’ils puissent lire des œuvres secondaires (Percy Jackson, Artémis Fowl, Cabanes magiques, Geronimo Stilton etc…). Mais je ne leur laisse jamais de lectures que je désapprouve…
Jusqu’ici, j’ai de grands lecteurs qui lisent une fois adultes, des œuvres très solides, philosophiques, sociologiques, anthropologiques, ou de littérature classique- et de cela j’en suis très fière.
En classe maison, on ne réussit pas tout. Et je serais malhonnête de laisser entendre que j’ai tout réussi en ce domaine… Mais, en étant rigoureux dans le choix du matériel et des livres que nous offrons à nos enfants, nous nous donnons de meilleures chances d’atteindre nos objectifs…
Cela ne va pas t’étonner: je partage à 200%!!! c’est la même chose ici et encore plus vrai depuis que je me suis mise dans les pas de Charlotte Mason…!
Va savoir, je ne suis pas du tout étonnée 😀
Bonjour Brune,
merci pour cet article! je me sentais bien seule, je vois avec plaisir que ce n’est pas le cas!
Je ne vois pas beaucoup de parents feuilleter les livres que leurs enfants leur rapportent à la bibliothèque.Et comme j’étais choquée, quand mes enfants étaient encore scolarisés, de les voir ramener des livres très mal écrits et me demander la signification de gros mot parce que la maîtresse leur avait demander de lire ce roman « pour motiver les enfants qui n’aiment pas lire »!
Alors, comment fais-tu pour tout lire??? Mes enfants lisent tant, ma fille de 12 ans dévore les livres, et mes classiques n’y suffisent plus! Le bon côté des choses est que comme nous lisons ainsi tous les même livres (quand on en tient un bon il fait rapidement le tour de la famille) cela nous permet de jolies discussions!
Je sais que certaines personnes arrivent à tout lire. Je m’efforce de lire ce que je peux. J’en lis même beaucoup, mon mari aussi. Quand il s’agit d’un nouveau livre, je prends le temps avant de l’emprunter à la bibliothèque ou de l’acheter (en cadeau) de « l’inspecter », de le parcourir déjà pour voir le ton du livre, le récit etc… De même, je prends les avis auprès de personnes qui partagent mes critères… ou encore sur des sites internet (j’essaie de retrouver le lien que j’utilise, mais grrr, ne le vois pas!!!).
Merci Brune, je fonctionne à peu près de la même manière, le seul problème qui se pose parfois: le manque de temps. Enfin, cela lui permet de relire (souvent plusieurs fois) ses classiques!
😉 Tout pareil!
Vous m’avez rappelé des discussions sans fin avec une inspectrice à l’époque où, au collège, régnait la »littérature de jeunesse », présentée comme la panacée pour développer « le plaisir de lire »… mais où le pire – pauvreté du style, imaginaire « facile », langage relâché, voire vulgaire – côtoie le meilleur, plus rare. Elle récusait le fait que lire « Poil de Carotte », « Dialogues de bêtes », Pagnol et tant d’autres (ce que je persistais à faire !) pouvait aussi être « un plaisir », et plus que cela même ! Heureusement, on en revient, depuis qqs. années, aux « classiques »… Mais être un lecteur, et pas seulement un liseur, cela commence dès le plus jeune âge… le choix d’un album, de la richesse des illustrations, de la mise en page. Tous les parents ne sont pas armés pour cela, malheureusement !
Je peux facilement imaginer ce type de débat!!! Le dernier inspecteur, j’ai bien vu, s’inquiétait de savoir si ma fille à côté des classiques, lisait aussi des livres de « son temps », du type la saga des vampires. Je comprends l’idée qui le préoccupait: ma fille est-elle déconnectée de sa génération? Mais quand même, on attendrait d’un représentant de l’instruction un idéal plus grand au niveau culturel et intellectuel…
Là, on touche à l’histoire de la « poule » et de « l’oeuf »… Une génération humaine se forme-t-elle, intellectuellement et culturellement, « ex nihilo », ou à partir de la « nourriture » qu’on lui fournit ? Sûr qu’il est plus facile d’avaler – et de fournir – de la purée ou des pâtes, et d’asseoir un tout jeune devant n’importe quoi à la télé pour « avoir la paix », que d’élaborer un repas ou d’aider un enfant à apprécier un livre plus complexe… Ainsi, on a formé une (et même deux, à présent) génération habituée à n’aimer que ce que les nécessités économiques privilégient et fournissent : les jeux vidéo de combat, « Twilight », une musique rudimentaire et les hamburgers…, ce qui exclut ensuite celui qui aurait appris à aimer un jeu de société, un livre ou une musique « classique »… traité en classe de « bolos » ou, encore pire, d' »intello », insulte suprême… Et ensuite, dans un double mouvement, l’institution éducative gémit sur cette génération fabriquée… (les fameuses phrases sur « le niveau baisse », « la violence augmente »… et j’en passe !) et, dans une magnifique logique, on s’inquiète de celui/celle qui en serait « déconnecté/e »… !
je ne saurais mieux dire! C’est malheureusement le triste constat que l’on peut faire…