Quand j’ai commencé à être en stage et à travailler en tant qu’enseignante, j’ai été surprise par les étiquettes que l’on plaçait très tôt sur un enfant. J’étais d’autant plus surprise que durant mes quatre année d’étude dans ma formation universitaire, on n’a eu de cesse de nous dire combien il fallait lutter contre les étiquettes qui enfermaient un enfant dans une catégorie.
Depuis le début des années 1990, nous sommes entrés dans l’ère du dépistage tôt… Tôt, parfois même avant l’âge formel de scolarité, on tente de diagnostiquer rapidement les signes montrant qu’un enfant risque d’être en difficulté scolaire. Ainsi, cela peut aller très loin: un enfant qui découpe mal vers 4 ans, peut être considéré à surveiller au niveau de sa motricité… Ce fut le cas pour les enfants de deux de mes amies de cette époque. Et les mères se sont mises à angoisser, à observer leur enfant de près, à leur donner plus de découpages à faire les fins de semaine. Et, ô drame! les dits enfants ont pris en grippe les fameux découpages…
Malgré mes préventions contre ces dépistages tous azimuts, ils demeurent importants pour les cas réels qui eux nécessitent un accompagnement adéquat dès le départ. Dans les années ’90, j’ai connu deux petits garçons, non dépistés, qui ont vécu une scolarité plus que chaotique. On les pensait fainéants, même à la maison… Ils ont appris à parler vers 5 ans avec une orthophoniste. Ils étaient sûrement « dyspraxiques » ou « dysphasiques »… Mais jamais aucun diagnostique n’a été posé. Ils troublaient la classe, « paressaient », ne faisaient rien. On croyait que les redoublements alors inévitables étaient du fait de leur paresse…Dans ces cas spécifiques, une prise en charge tôt et une aide adaptée auraient pu changer la donne dans la suite du cursus scolaire.
Mais la contre-partie de ce dépistage précoce, c’est le risque de stresser des apprentissages qui se déroulent tout à fait normalement, bien que lents, et que l’on suspecte relever d’un problème plus lourd.
Après une formation où les étiquettes étaient à proscrire, ce fut le déluge des « étiquettes » qui entrait dans le monde de l’éducation. Il y a eu la vague des « déficits d’attention ». On entendait que cela. A croire que 9/10 étaient atteints. Il suffisait qu’un gamin soit distrait en classe, ou un peu turbulent, et il était aussitôt un enfant à déficit d’attention. Il y a eu les hyperactifs. Dans la même classe, à côté des 9/10 d’élèves en déficit d’attention, on trouvait aussi les 6/10 qui étaient hyperactifs. Combien d’amies avaient un enfant hyperactif? Puis, on a mis d’autres mots. Il y a eu tous les « dys ». Et ensuite les enfants « précoces » qui dix ans plus tôt auraient été en déficit d’attention ou hyperactifs. Maintenant on parle de « HP ». La moitié des élèves d’une classe serait « HP » aux dires des parents et l’autre moitié sûrement « dys ». Que sera la suite? Il y a aussi les « EIPH », les hyperaffectif et précoce intellectuellement.
Les enfants « HP » existent, bien entendu. Les enfants hypersensibles aussi (j’en sais quelque chose…), les dys de tout acabit également. Mais à des degrés quand même moindre que ce que l’on entend. Dans chacune des catégories on parle d’environ 2% de la population…et avec le facteur hyperaffectif, on tombe à 0,2%. Nous sommes loin d’emplir une classe…
A côté de toutes ces étiquettes, nous avons aussi des questions de maturité… dans bien des cas! La maturation vient avec le temps. Nous sommes tellement dans la prévention qu’on oublie que pour une grande partie des enfants, c’est juste une question de temps. On accepte facilement l’idée qu’il est tout aussi normal de marcher à 8 mois qu’à 18 mois… On comprend que chacun va se développer différemment et qu’au bout d’un moment cela ne fera plus aucune différence entre tous ces enfants…
De même, certains enfants arrivent trop tôt à l’école. Ils n’ont pas encore la maturité de fixer leur attention. Ils n’ont pas la maturité pour exécuter leur motricité fine… Dans un cours de kinésiologie, le professeur disait qu’en fait les enfants à six ans sont très différents physiologiquement les uns des autres et par conséquent c’est ainsi aussi émotivement et intellectuellement. Certains ont 4 ans d’âge réel, et d’autres 8 ans. Et tout cela est normal… Comme pour la marche. Il disait qu’il serait trop lourd d’organiser une structure d’accueil d’entrée à l’école selon la maturité réelle, mais que cela serait tellement plus bénéfique. On ne mettrait pas les enfants à risque de développer une image d’eux-mêmes en échec scolaire…
L’école maison nous permet, dans notre petite structure, d’accueillir ces différences de maturité. Je ne regarde jamais une lente maturation comme étant un « problème »! Et pour l’enfant, ce regard accueillant et patient, fait une grosse différence dans son parcours et son estime de lui-même. L’estime de soi est d’ailleurs essentielle dans l’apprentissage…
Nous avons aussi à être vigilants afin de ne pas nous abuser et passer à côté d’un problème plus sérieux qui nécessite une mise en place d’une aide particulière pour apprendre. Mais, de ce que j’ai observé depuis près de deux décennies, les parents en IEF détectent assez bien ce qui cloche dans l’apprentissage, puisqu’il sont en tête à tête avec l’enfant. Peut-être est-il nécessaire d’encourager les parents qui enseignent à la maison à ne pas hésiter à recourir à de l’aide à l’extérieur si leur enfant présente de réelles difficultés?