Je suis en train de lire le fabuleux livre d’Emilie Carles « La soupe aux herbes sauvages » qui est le témoignage d’une institutrice née au début du vingtième siècle dans le Briançonnais. Elle décrit avec moult force la difficile vie des montagnards à cette époque, et nous devenons les témoins de la percée de l’école dans ces contrées où la vie n’était pas tendre ni avec les femmes, ni avec les enfants. Elle ne l’était pas plus avec les hommes. Il est intéressant de voir qu’en ces années l’école était très mal perçue des habitants de ces lieux. On ne voulait pas y envoyer ses enfants: on avait trop de travail à la maison, aux champs pour se priver de cette précieuse main-d’oeuvre! Et l’auteur rappelle son long parcours pour amener ces enfants sur les bancs afin qu’elle puisse les instruire selon la loi qui oblige (depuis peu) à aller à l’école.
On comprend sans peine combien l’école à ce moment a été salvatrice. Il fallait offrir à ces enfants une vie meilleure, leur apporter des connaissances susceptibles de leur ouvrir leur esprit. La société était close, les esprits plutôt étroits. Je suis la première surprise par cette lecture. J’ai toujours une vision si romancée de ces années. Ce n’était pourtant pas drôle dans ces endroits reculés. Le milieu était souvent violent et très fermé…
C’est amusant de constater qu’il y a cent ans les gens de ces endroits plus retranchés résistaient à l’école, et qu’aujourd’hui, on a le mouvement inverse. On a l’impression que l’humanité est née avec l’obligation de se nourrir, de se loger et d’aller à l’école. En cent ans, on a l’impression que l’école est devenue incontournable dans le développement d’un être humain…
Je comprends et salue l’apport énorme de l’école dans notre société. Et j’en ai été une heureuse bénéficiaire. L’école a été une chance pour moi…
Mais je ne reconnais plus l’école comme voie unique d’émancipation. Et parfois, elle est le lieu des esprits où l’on se referme… Je précise parfois. En début de vingtième siècle, une institutrice arrivait dans un village reculée avec ses connaissances, et une bouffée d’air frais dans l’éducation civique. Ces sociétés étaient marquée par l’ignorance, la misère et l’alcoolisme. L’arrivée de l’instruction était une bénédiction. L’employée de l’Etat bien que suscitant d’abord la méfiance, occupait ensuite une place de choix comme référence aux côtés du curé.
Qu’en est-il aujourd’hui? Dans les milieux sensibles, l’école est-elle toujours cette chance? Le professeur ne représente plus du tout la référence respectée d’autrefois. Le désir d’apprendre des connaissances scolaires a disparu, le pouvoir émancipateur s’est envolé. Le taux de chômage étant ce qu’il est, l’école a perdu son capital d’espoir qu’elle a longtemps représenté. Sans parler du niveau qui baisse sans cesse. Et la parole du professeur est méprisée souvent par les parents eux-mêmes.
L’école est parfois devenu le vecteur de changement de mentalité réclamé par une minorité, sans preuve que l’on va vers un mieux. On peut y vivre du harcèlement, une baisse de l’estime de soi et y développer un esprit étroit en se calquant sur ses pairs qui sont totalement dévoués aux modes du moment!
Bien sûr, je dresse un tableau trop noir de l’école. J’y ai une partie de mes enfants, et je nuance. Mes enfants ont des professeurs qui donnent encore envie d’apprendre. Mais l’école broie aussi certains enfants. Pas tant l’institution, pas vraiment ses professeurs (sauf exception) mais son milieu lui-même qui est dans certains endroits tout sauf une chance d’émancipation…
L’obligation de l’école est une création récente . Elle demeure profitable à la majorité, car elle permet la garde des enfants pendant que les parents travaillent. Mais il faut bien se rendre à l’évidence qu’elle n’est plus le seul lieu où l’on s’instruit, car depuis un siècle, plusieurs personnes se sont instruites et sont maintenant en mesure de dispenser une instruction eux-mêmes.
La société a évolué. Ses besoins ont changé. Nous tentons de réformer l’école au mieux. L’école est en attente d’un changement adapté aux nouveaux enjeux d’aujourd’hui et sa nouvelle problématique est fort différente . L’école maison est la réponse d’une minorité à ces changements attendus. Elle ne peut être le projet global d’une société, mais elle invite sûrement à repenser l’école elle-même, à s’interroger sur son avenir… Quelle école pour demain?